VANILLE
Alors qu’il se négociait encore en 2012 autour de 20 euros le kilo, le cours de la vanille devrait atteindre pas moins de 600 euros le kilo cette année, soit 10 euros la gousse brune. © leemage
Comment expliquer cette flambée du cours de la vanille ? « C'est la question que tout le monde se pose » pour Georges Geeraerts, président du Groupement des exportateurs de vanille de Madagascar (GEVM). Cyclope, une société d'études spécialisée dans l'analyse des marchés mondiaux des matières premières, évoque même dans son rapport du même nom « une bulle spéculative dangereuse ». Difficile de le contredire puisque, en quelques années, le prix de ce produit a atteint des sommets historiques. Alors qu'il se négociait encore en 2012 autour de 20 euros le kilo, le cours de la vanille devrait atteindre pas moins de 600 euros le kilo cette année, soit 10 euros la gousse brune.
Les raisons de cette escalade sont à chercher du côté de Madagascar. « Même s'il est compliqué d'avoir des statistiques précises, Madagascar est de loin le plus gros producteur mondial de vanille », estime Yves Jegourel, maître de conférence à l'université Bordeaux-IV et directeur adjoint de Cyclope. Selon les spécialistes, environ 80 % des 2 500 tonnes de vanille qui seront consommées dans le monde en 2017 proviennent de cette île de l'océan Indien. Des chiffres à prendre avec des pincettes puisque Georges Geeraerts explique que « même pour nous [les acteurs du secteur, NDLR] qui sommes très actifs dans la recherche d'informations, le marché reste très opaque ».
Reste que le cours de la vanille, comme celui des autres matières premières, résulte seulement de l'équilibre entre l'offre et la demande. Or, Georges Geeraerts révèle qu'en 2014, « la demande mondiale a excédé ce que pouvait alors produire Madagascar » après le passage de deux cyclones qui ont ravagé une partie des récoltes. Et lorsque l'offre se raréfie, le prix du produit a naturellement tendance à augmenter. D'autant que « la demande de vanille, elle, est relativement inélastique », analyse Yves Jegourel. Comprendre : peu importe son prix, il y aura toujours des industriels pour l'acheter. Une offre limitée et une demande stable constituent deux bons ingrédients pour la formation d'une bulle spéculative.
Si les prix flambent, la qualité des gousses récoltées depuis trois ans, en revanche, ne cesse de diminuer. Depuis que le cours s'est envolé, les vols se sont multipliés dans les plantations malgaches. Olivier Mahafaly, le Premier ministre, confie même à Reuters que « certaines personnes sont prêtes à tuer pour acquérir de la vanille ». Ce qui incite les producteurs à récolter les gousses avant maturité, pour éviter le pillage. Conséquence directe : il faut désormais 7 kilos de vanille verte pour obtenir un kilo de vanille préparée, quand il n'en fallait que 4 kilos il y a encore quelques années. Et le taux de vanilline, cet arôme naturel tant prisé par les industriels, n'a jamais été aussi bas. « Habituellement compris entre 1,6 et 1,8 %, ce taux devrait chuter à seulement 1 % », selon Georges Geeraerts qui ajoute, un brin fataliste, que « si le prix ne diminue pas, la qualité n'augmentera pas ». Et apparemment, les producteurs ne peuvent pas compter sur le soutien du gouvernement pour améliorer cette situation : « On a essayé le tirer la sonnette d'alarme auprès du gouvernement, mais il n'y a eu aucune réaction. La vérité, c'est que cette manne commerciale est source de corruption à tous les niveaux », déplore Georges Geeraerts.
Au lendemain du passage du cyclone Enawo qui a durement touché Madagascar en mars dernier (78 morts), des prévisions alarmistes annonçaient la fin du quasi-monopole de l'île de l'océan Indien sur le marché mondial de la vanille. Cinq mois plus tard, le bilan est sensiblement différent. Le cyclone a effectivement détruit 30 % des champs de vanille du nord de l'île, mais ces pertes ont été compensées par une hausse de la production décidée après le passage des précédents cyclones en 2014.
« Les prix élevés ne sont pas forcément une bonne nouvelle pour les producteurs, met en garde Yves Jegourel, puisqu'avec les surprofits qu'on peut facilement réaliser sur ce marché, les barrières à l'entrée sont très faibles. » En clair, point n'est besoin de beaucoup investir pour espérer des gains importants et le magot attire de nouveaux acteurs. Et « qui dit augmentation des prix, dit plus d'exportateurs et moins de coordination au sein de la filière », poursuit Yves Jegourel.
Ce manque de coordination parmi les producteurs malgaches ne peut toutefois expliquer à lui seul, l'escalade des prix. « Le cœur du problème, c'est les stocks, la spéculation physique », considère Yves Jegourel. Imaginant que le prix va continuer d'augmenter, les producteurs gardent en réserve une certaine quantité de vanille pour les mettre sur le marché seulement l'année suivante. À court terme, cela limite donc l'offre et joue (encore) à la hausse sur les prix.
Reste que le filon risque de se tarir. Georges Geeraerts confirme que « l'Inde, l'Ouganda et l'Indonésie, entre autres, ont relancé leur culture de la vanille ». Si de nouveaux entrants se bousculent, l'offre mondiale pourrait bondir et agir cette fois à la baisse. Pour Yves Jegourel, « la bulle qui explose, c'est la question sur toutes les lèvres dans le secteur de la vanille. Il est clair que cette situation ne pourra pas durer ». Il considère d'ailleurs qu'« un ajustement très fort sur les prix est à prévoir l'an prochain ».
Même son de cloche pour Georges Geeraerts : « Je ne peux pas croire que le prix va continuer d'augmenter. Il y a encore une chance que la bulle éclate cette année, mais c'est plus probable que cela se fasse l'année prochaine. » Lui est convaincu que le scénario de 2003-2004 va se répéter. Le marché de la vanille faisait alors déjà l'objet d'une bulle spéculative et son cours avait chuté en quelques mois de 400 à 40 euros le kilo. « Pour contenter tous les acteurs de la filière, l'idéal serait que le prix se stabilise entre 70 et 90 euros le kilo », conclut-il.